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DOMINIQUE GAUZIN-MÜLLER Après son diplôme à l'école d'architecture Paris-Tolbiac dans l'atelier de Roland Schweitzer, Dominique Gauzin-Müller a obtenu en 1985 un Certificat d'études approfondies sur la construction en bois. Quercynoise d'origine, elle vit à Stuttgart depuis 1986 avec son mari allemand et leurs deux enfants. Passionnée par la construction en bois et l'architecture écologique, elle partage son enthousiasme pour ces sujets lors de nombreuses conférences en France et à l'étranger. Elle collabore à plusieurs maisons d'éditions et travaille régulièrement avec des revues européennes: D'architectures, L'archittetura naturale, Architectures à vivre, Techniques et architecture etc. Les derniers livres qu'elle a publiés aux Éditions du Moniteur ont été traduits en plusieurs langues: Construire avec le bois (1999), L'architecture écologique (2001), 25 maisons en bois (2003) et 25 maisons écologiques (2005). Son dernier ouvrage est dédié à l'architecture écologique du Vorarlberg et au modèle social, culturel et économique proposé par ce petit Land autrichien. Professeur associée à l'École nationale supérieure d'architecture de Nancy pendant trois ans, Dominique Gauzin-Müller enseigne depuis 2007 à l'ENSA de Strasbourg sur le même thème «Développement durable et solidaire dans l'architecture et l'urbanisme». Elle est rédactrice en chef d'ecologiK, une revue sur l'architecture et l'urbanisme éco-responsables, dont le premier numéro est paru en février 2008. Elle est commissaire de l’exposition sur l'habitat éco responsable qui se tient du 12 mai au 1er novembre 2009 à la Cité de l'architecture et du patrimoine au palais de Chaillot à Paris. L'objectif de cette manifestation est de participer à la recherche de solutions aux grands défis du XXIe siècle, notamment l'étalement urbain, l'amenuisement des ressources disponibles et la pollution de l'air et des sols. Son dernier ouvrage édité par Les Éditions du Moniteur : Disponible : 20 mai 2009 – Format : 23 x 25 cm – 410 pages EAN 978-2-281-19392-3 Gilles GARBY : C’est avec une certaine complicité que je t’invite à cet entretien, car je suis l’un des nombreux professionnels qui ont eu la chance de suivre ton enseignement à l’occasion de conférences, de formations et aussi des voyages d’études que tu as animés en Allemagne et dans le Vorarlberg. Cet échange est l’occasion de te présenter notamment aux architectes syndiqués de l'Unsfa qui partagent cette intelligence collective et interprofessionnelle qui t’est chère. Gilles GARBY : Quels sont les principes qui fondent ton approche des enjeux environnementaux et qui vont bien au delà des enseignements techniques que tu dispenses et des méthodes de management modernes que tu promeus ? Dominique GAUZIN-MÜLLER: En ce début du XXIe siècle, alors qu'une population multipliée par quatre en un siècle n’arrive pas à se partager équitablement une planète polluée et surexploitée, la survie de notre civilisation représente un véritable défi. Le bâtiment est au cœur des enjeux et la mise en place de solutions viables à long terme exige de chacun la remise en cause de pratiques désuètes et un changement radical dans sa manière de réfléchir et d’agir. Le progrès technique ne sauvera pas le monde et il faut arrêter de tout compartimenter. Je milite ainsi pour que les projets d’architecture et d’urbanisme soient abordés selon une approche holistique, également prônée par quelques pionniers pour l’agriculture et la médecine. La plupart des problèmes qui nous préoccupent aujourd'hui (changements climatiques, perte de la biodiversité, crise alimentaire...) nous les avons créés nous-mêmes au cours des dernières décennies. Aucune génération n’a été aussi pollueuse ni aussi gaspilleuse que la nôtre et nos enfants seront les premiers à en assumer les conséquences. La technique est un outil nécessaire, qu’il est important de connaître et de maîtriser, mais la solution réside avant tout dans l’humain et commence par une révolution intérieure, un nouvel état d’esprit. Nous devons réinventer une société de sobriété, de confiance et de bienveillance. Cette simplicité volontaire est à la fois le grand challenge et la grande chance de notre société. Pour l’accomplir, il faut commencer par lutter contre les inégalités inadmissibles et la perversité qui veut qu’au même moment il y ait environ 800 millions de personnes au sud de la planète qui ne mangent pas à leur faim et à peu près autant au nord qui sont malades d’avoir trop mangé. Il faut ensuite s’occuper des mal logés: les 800 millions qui vivent dans des bidonvilles, mais aussi les trois millions de Français vivant dans des taudis ou des abris précaires. Une étude américaine vient d’établir un lien direct entre l’intoxication des enfants par le plomb (due aux conduites et aux peintures vétustes des logements insalubres) et un comportement violent voire criminel à l’âge adulte. Les problèmes de santé publique sont aussi des enjeux sociaux. Le développement durable, c’est avant tout une éthique et nous avons tenu à l’exprimer avec un groupe d’amis dans un ouvrage collectif intitulé “Bâtir éthique et responsable”. Gilles GARBY : L’aboutissement de ton désir de mettre en relation les acteurs du développement durable et de favoriser l’échange et le partage des savoirs se traduit aujourd'hui par des responsabilités de rédactrice en chef. Dominique GAUZIN-MÜLLER : EcologiK présente une vision globale des pratiques responsables et solidaires dans le bâtiment et l'urbanisme, l'extension à l'échelle du territoire étant indispensable pour le changement profond dont nous avons besoin. Destiné aux architectes et aux ingénieurs, mais aussi aux maîtres d'ouvrage, aux artisans et aux usagers, ce magazine décline les multiples facettes de la démarche environnementale pour permettre à chacun de l'appréhender dans sa diversité, dans sa complexité et dans sa richesse. Nous essayons ainsi d'aller du pourquoi au comment, c'est à-dire de réflexions philosophiques (sur le rapport entre éthique et esthétique, sur la beauté...) à la description de produits et de techniques innovantes. Le sens d'EcologiK est à la fois de faciliter la divulgation des savoir-faire et de motiver tous les acteurs, en leur faisant découvrir des exemples qu'ils auront envie de suivre. Notre objectif est aussi de démontrer que l'approche environnementale n'impose pas de modèle, qu'elle est applicable dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord, avec l'indispensable adaptation au contexte local, et surtout qu'elle est un moteur pour la créativité. Gilles GARBY : Ce nouvel état d’esprit qui inspire l’ensemble de ton action en faveur d’un changement de société est partagé par le nouveau réseau des centres de ressources régionaux. Dominique GAUZIN-MÜLLER: Des liens d'amitié me lient depuis plusieurs années à Daniel Fauré (président d'Envirobat-Méditerranée), à Christian Charignon (ancien président de VAD) et aux responsables d'autres centres de ressources régionaux. La plupart de ces professionnels ne se connaissaient pas en 2005 quand j'ai profité de Batimat pour les réunir autour d'un ''pique-nique des terroirs'', afin qu'ils puissent mettre en commun leurs compétences, se motiver mutuellement et devenir ensemble plus efficaces. Depuis, le réseau se construit peu à peu et de nouvelles régions rejoignent le groupe initial, en profitant de l'expérience des deux pionniers: PACA et Rhône-Alpes. En France, c'est en province que les pratiques éco-responsables sont en marche ! Le Grenelle de l'environnement a mis en évidence la défaillance des institutions nationales et la compétence des professionnels de terrain les plus engagés. L'union faisant la force, ResoBAT commence à compter dans les discussions avec le CSTB, l'Ademe et d'autres organismes liés au développement durable. Au sein de ces institutions, certains membres ont le courage de reconnaître leurs lacunes et souhaitent changer de pratiques. Tombés en désuétude ou inconnus il y a encore quelques années, des termes comme ''bon sens'', ''intelligence collective'' ou ''capital social'' commencent à se répandre, ce qui est bon signe... même si tout le monde n'imagine pas les mêmes choses derrière ces mots. Gilles GARBY : Quelle est la place de l’architecte dans la société, sa responsabilité dans l’acte de bâtir et la démarche de projet ? Dominique GAUZIN-MÜLLER: Le bâtiment consomme environ 50% des ressources et produit environ 25% des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, le rôle de l'architecte devient primordial et il est essentiel qu'il prenne conscience de cette responsabilité citoyenne. Parmi les acteurs du bâtir, il est le seul qui dispose de la culture, des compétences et de la vue d'ensemble nécessaires pour mettre en place, évaluer puis faire évoluer une approche holistique de la construction et de l'aménagement du territoire. L'architecte est aussi le chef d'orchestre naturel de la ''conception intégrée '' (intégrale Gebäudeplanung) qui commence à s'imposer chez nos voisins germaniques. Dés les premières esquisses, ce processus inclut ingénieurs et économistes selon une approche qualitative basée sur le coût global. Cette démarche, fortement ancrée dans le contexte local, intégré la participation des usagers afin de garantir la satisfaction des futurs utilisateurs, une gestion technique optimale et le respect du bâti. Gilles GARBY : Tu as lancé en 2006 l’Appel de Nancy et la première rencontre nationale sur l’enseignement du développement durable dans l’architecture et l’urbanisme ? Dominique GAUZIN-MÜLLER: Le président de l'Unsfa fut l'un des premiers à signer l'appel de Nancy, qui a reçu le soutien d’environ 500 professionnels, et les rencontres pédagogiques se poursuivent : à Lyon en 2007, à Grenoble en 2008. En 2009, elles auront lieu à Paris, à la Cité de l’architecture, dans le cadre d’une exposition sur l’habitat éco-responsable dont je suis commissaire. Dans toutes les écoles, les étudiants sont très demandeurs et certains enseignants sont désemparés face aux nouvelles compétences que l’on attend d’eux. Je les comprends, car alors que je travaille depuis 25 ans sur le sujet, j’ai conscience de sa vas- titude, de sa complexité et de mes lacunes. Gilles GARBY : En quoi la dimension d’une exposition sur l’habitat éco-spirituelle de ton message se traduit-elle par une relation particulière à la communauté humaine et à l’acte de bâtir ? Dominique GAUZIN-MÜLLER: Depuis l’enfance, mes moteurs sont la curiosité et l’empathie et je me sens proche de penseurs comme Khalil Gibran et Krishnamurti,dont la spiritualité libre et tolérante s’appuie sur l’esprit critique et l’ouverture au monde. Notre responsabilité d’architecte est bien sûr de créer des bâtiments sans risque pour la santé,en appliquant le principe de précaution, mais notre devoir citoyen est aussi de concevoir des espaces intérieurs et extérieurs qui participent à l’épanouissement des hommes. * C’est en qualité de secrétaire général de l’Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes (UNSFA) que Gilles GARBY a recueilli les propos de Dominique GAUZIN-MÜLLER, pour la revue Passion Architecture, revue d’architecture et organe d’information du syndicat des architectes.
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